Article : La Perte  

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  Rubrique :  Cataléptiline

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Je n’ai jamais aimé les murs blancs ni l’odeur aseptisée des hôpitaux… À croire que ça me rappelle bien trop de souvenirs.

L’infirmière est passée me voir et m’a dit que tout irait bien, alors que ça fait déjà trois jours que je suis là, trois jours que je n’ai pas dormi. Au rythme où vont les choses, elle se trompe, la madame : ça tournera mal, parce qu’à mon tour je vais me retrouver allongé dans un lit.

Mon Dieu, qu’elle a l’air mal ! Le teint pâle, les yeux clos, et son sourire a disparu. J’ai beau lui faire tous les baisers du monde, elle ne se réveille pas.

Les gens défilent : mes parents, ses parents, nos amis et même ses profs. C’est bizarre : ces gens sont soit des proches, soit des gens que l’on côtoie tous les jours, et pourtant, comme je les déteste de pleurer, geindre et s’inquiéter… Les médecins disent qu’elle va s’en sortir, alors pourquoi une telle réaction ? On dirait qu’ils sont déjà en train de l’enterrer.

Elle, c’est Mélaine. On se connaît depuis déjà trois ans et, dès le premier jour, on s’est aimés. Ça fait plus d’un an qu’on habite ensemble et, bientôt, je la demanderai en fiançailles.

Je l’ai rencontrée au coin d’une rue, on s’est embrassés sous un réverbère et on a fait l’amour pour la première fois à l’arrière d’une voiture.

Je me souviens de chacun de nos moments : les plus tendres, les plus complices, et même les plus tristes.

Chaque matin, quand je me réveillais, les souvenirs de mes rêves me submergeaient sans que ça m’inquiète. Mais là, j’ai juste peur de dormir, parce que si je cauchemarde, elle ne sera pas là pour me réveiller tendrement. Au fond, qu’est-ce que ça change ? Je suis déjà en train de cauchemarder. Au moins, en restant éveillé, mon enfer, je le vis en lui tenant la main.

Il est maintenant 18 h 24. Voilà quatre jours que c’est arrivé. Je m’en veux tellement de tout ça. Si elle savait comme je l’aime… J’ai beau le lui répéter en boucle depuis trois jours, je ne sais même pas si elle m’entend.

« Ma puce, je t’aime. » Aucune réaction, à part le bip de son moniteur. Sa main est froide et son corps raide… Ça ne lui ressemble tellement pas. Le bip résonne dans ma tête et mes yeux restent fixés sur son corps inerte.

J’ai froid… très froid… Je n’aurais rien contre un Doliprane, tellement j’ai mal à la tête d’un seul coup.

Non, voyons, garçon, tu es paranoïaque. C’est juste une migraine, tout va bien. Ce n’est pas sa douleur que tu ressens. Ils savent ce qu’ils font. Elle va se remettre, elle sortira dans quelques jours et je lui ferai le meilleur petit-déjeuner de sa vie. C’est ce bip qui me fait craindre le pire… Voilà qu’il devient continu, et alors ? Ils ont dit que ça irait, donc ça ira ! Elle va se ressaisir. Vas-y, ma puce, bats-toi : pour toi, pour moi, pour nous, pour eux. Ne m’abandonne pas. Je ne me sens pas la force de te survivre.

J’entends du bruit autour de nous : pourquoi ces crétins en blouses blanches s’affolent ? Pourquoi, d’un seul coup, ils s’arrêtent ? Qu’est-ce qu’il raconte, celui-là ?

— Heure du décès : 18 h 25.

J’ai sommeil. J’ai envie de dormir dans tes bras. Attends-moi : un peu de repos nous fera du bien et, après, tout ira mieux…

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— Madame, votre fils est plongé dans ce que nous appelons, en langage médical, un état de coma éveillé. Le terme exact est catatonie. Les cas avérés sont rares, et je dois vous avouer que ce phénomène demeure encore largement méconnu. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il pourrait en sortir à tout moment… ou, hélas, ne jamais revenir à lui. Cet état peut être provoqué par un traumatisme physique — je ne peux donc pas exclure les blessures subies lors de l’agression. Mais, dans la majorité des cas, la catatonie trouve ses racines dans un choc émotionnel profond. Et à mes yeux, c’est le refus de la mort de Mélaine qui a scellé le silence de Mélo.

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