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Il est tellement lassé d’entendre les gens le dire “dans sa bulle” qu’il a cessé de s’en défendre, ou même de s’en expliquer.

À ses yeux, le monde contemporain est un vaste pré où des moutons se rassemblent pour bêler en chœur, persuadés d’incarner la voie du monde, plutôt qu’une voie à part.

Il ne juge pas celles et ceux qui suivent ce chemin.
Il éprouve même une certaine affection pour eux.
Simplement, il ne se retrouve pas dans leur conformisme — celui qui dicte aux gens qui être, comment aimer, quoi attendre de la vie, ce qui est bien et ce qui est mal.

Pourtant, en secret, quand il les voit se trouver et se construire, il s’interroge sur lui-même.
Il se demande, comme beaucoup, si dans sa vie il a fait les bons choix, écouté les bonnes personnes, et réduit au silence les bons détracteurs.

En général, c’est à ce moment-là qu’il s’endort… sans réelle réponse à ses questions ni à sa frustration.

Son idéologie de vie a une origine.
Souvent, il se souvient que pour lui, tout a commencé par un rêve.
Un rêve dans lequel il se voyait accompagné de deux garçons bruns, aux cheveux courts, qu’il semblait bien connaître.

Le premier, sur un ton moqueur, lui disait de se détendre, de profiter.
Le second, sans aucune discrétion, pouffait de rire.

Autour d’eux, des gens dansaient, s’amusaient, riaient à gorge déployée.
Souvent, il se rappelle s’être dit que tous ces gens et leur brouhaha semblaient se donner beaucoup de mal pour se prouver qu’ils étaient vivants.

Il avait beau être jeune au moment de ce rêve, il n’était pas dupe.
Il comprenait déjà que celui qui s’en prend à son prochain par cynisme, agressivité ou moquerie, compense en réalité son propre manque de confiance ;
et que celui qui rit d’autrui le fait souvent plus par adhésion envers une personne que par conviction envers une idée.

Et, à l’instar d’un gars dans sa bulle, il savait que dans cette situation, c’était bien lui qui semblait lourd, avec un balai dans les fesses, là où tout le monde faisait la fête.
Être le casse-trip de service, ça mérite bien quelques vannes… Alors, dans son rêve, il préférait en rire jaune plutôt que de s’en offusquer.

Souvent, il se souvient du moment où la musique lui semblait moins bruyante, les gens plus silencieux, et l’atmosphère plus légère.

Et puis… cette main.
Douce.
Chaleureuse.
Qui s’est emparée de la sienne par surprise.

Il se rappelle avoir sursauté en découvrant une capuche, un visage féminin pâle, une bouche fine, une mèche de cheveux tombant bas, comme pour cacher son regard…
Une inconnue, surgie de nulle part, qu’il a suivie dehors sans se poser de questions, juste après qu’elle lui eut dit :

« Laisse le troupeau, on sort d’ici. »

Les rêves sont souvent remplis de détails étranges, mais dont on se souvient avec une précision maladive.

De celui-ci, il garde en mémoire qu’ils avaient quitté la fête pour se retrouver dans la cour d’école de son enfance.
Une foule avançait en sens inverse, cherchant à rejoindre l’intérieur.

Il se souvient qu’il faisait jour.
Qu’il pleuvait un peu.
Comme si le monde entier était triste.

L’inconnue sautait dans les flaques avec une satisfaction visible, amusée de voir les autres s’énerver en la croisant.

Elle s’émerveillait d’un rien.
S’amusait de banalités.
Parlait de tout et de rien, avec une aisance étonnante.

Lui… il se sentait juste bien.
Pour une fois, à sa place.
Heureux.
Curieux comme un enfant qui vient de se faire sa première amie au bord d’un bac à sable.

Il se revoit, à un moment, arrêter la marche de l’inconnue pour lui montrer un préau où un enfant, sorti de nulle part, s’abritait en tapant nerveusement du pied.

Elle rit, puis lui montra du doigt, à l’opposé, une petite fille jouant dans une flaque avec un bâton, débordante d’imagination.

Elle fit remarquer que les deux enfants étaient seuls, mais que cela ne voulait pas dire qu’ils le resteraient toute leur vie.
Et, de plus, ils n’avaient pas l’air malheureux.

Le garçon, certes bougon, ne pleurait pas.
Il semblait juste pressé, comme un adulte stressé.
La petite, elle, allait sans doute attraper une pneumonie, mais c’était, pour elle, le prix de l’éclate.

Il se demanda alors si c’était ça, l’innocence.
Et il les observa tour à tour, avec curiosité.

Quand la pluie cessa, le garçon partit en courant dans une direction, la petite dans l’opposée.

Il se souvient de l’inconnue lui disant de ne pas s’inquiéter :
qu’un jour, les deux enfants finiraient par se trouver.