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- Igua s Way Chapitre 4 Wednesday
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Autant la disparition de Céline m’a touchée, autant j’ai su garder le cap. Mais cette fois-ci, avec la désillusion inconnue, j’avais l’impression que la vie s’amusait purement et simplement de moi, et la marche aux étoiles me semblait ô combien obsolète. Je broyais du noir, du noir et encore du noir, sans que personne ne trouve les mots adéquats.
C’est dans ces moments-là que la plupart des gens s’éteignent. C’est en général à ce moment-là que j’émerge : je trouve un plan débile pour me prouver quelque chose. Et je finis par aller voir Chiki avant de le mettre en œuvre.
Cette fois, le plan consistait à m’auto-prouver que j’étais bel et bien en vie et que, même si cette légende qui gérait ma vie s’était incarnée pour devenir un cauchemar, je n’y pouvais rien. Mais il me fallait faire quelque chose pour me prouver que j’étais encore vivante.
Je suis vivante. Je suis vivante. Je suis vivante...
Voilà un fier et fort dogme — mais n’en est-il pas moins inquiétant ? Au fond : Céline est morte à 31 ans, j’allais en avoir 30 ; les gens l’ont déçue au point de ne plus savoir quoi faire. Tant de ressemblances malgré nos différences que ça en devenait vraiment morbide.
Trente ans...
Kiki avait décidé qu’on n’a pas 30 ans tous les jours et a eu cette idée folle de m’offrir un voyage, à ma guise.
J’ai dit « non ». Elle a insisté.
J’ai hésité entre beaucoup de destinations, puis... je me suis rappelée qu’au fond de moi je suis Mazo : quand on va mal, c’est qu’il y a une histoire, une inspiration, et que la solution, dans ces moments-là, c’est d’affronter le tout en revenant au basique.
Le débat a dû durer dix minutes en tout et pour tout, avant que je décide de retourner à Londres, retourner affronter ma meilleure ennemie — fatalité — et plutôt que de le faire seule, de le faire avec mon frère, une fois de plus, encore une fois...
Dans un premier temps Chiki a dit non ; puis, à force de travail mental, il s’est rappelé qu’il était père et qu’il fallait en parler à Titi. Je l’ai laissé faire et m’attendais à me faire jeter.
« Titi, Mick a besoin de vérifier s’il est toujours vivant. Il veut retourner à Londres pour ses 30 ans. Il veut m’embarquer avec lui. C’est grave si on te laisse les gamins ? »
Ce n’était pas gagné et pourtant il a juste fallu revoir l’ambition de 7 à 4 jours et s’engager à expliquer à Mat et Nono. Mais elle était d’accord.
— On va faire quoi ?
— On y va avec qui ?
— On crèche où ?
— On part quand ?
— On y va comment ?
— Et au fait, rappelle-moi : on y va pourquoi ?
Le mec m’a fait une analyse QQOQCP en moins de temps qu’il m’en faut pour l’écrire, et avant que je réponde « pas la moindre idée, tu multiplies par 4 », Chiki a dit :
« Je m’en fous, je veux aller à Poudlar, à Buckingham, manger des fayots et boire un thé avec la reine — ou au moins le prince Charles. »
J’ai songé naïvement à lui demander ce qu’il voulait demander à la reine, mais je le connais tellement que je connaissais sa réponse : « savoir si c’est elle qui a tué Lady ». Je me suis abstenu.
Je lui ai rappelé que la reine d’Angleterre avait des gardes ; il a rétorqué qu’eux aussi il voulait les voir... Je me suis dit : allez, on va faire la une pour incident diplomatique.
Pendant ce temps-là, Titi — pourtant habitué à nos délires — nous regardait faire avec une once d’inquiétude dans le regard, pire que pour Escouloubre. J’ai promis de ramener Chiki entier pour son voyage de noces prévu juste après.
Après Titi, restait encore à expliquer à deux enfants — dont le plus âgé avait cinq ans — que tu leur enlèves leur papa. Chiki a pris le relais quand il y a commencé à y avoir des larmes dans leurs yeux pour leur dire :
« Oh les gars, c’est quatre dodos, c’est bon, je vais revenir. Vous le reverrez, votre père. »
Je me souviens avoir fait du coude à Chiki et lui avoir demandé en douce s’ils les avaient prévenus pour le voyage de noces ; sa réponse fut :
« Mick, ta gueule, ça marche le coup des dodos, mais faut pas abuser — pas trop de dodos à la fois. »
Le plan définitif a été merdique à mettre en place : j’ai mis plus d’un mois. Mais Chikito, dans son délire du QQOQCP, avait parfaitement mis en avant toutes nos problématiques à résoudre pour un voyage accompli.
Lundi 27 janvier 2014 fut la réponse au grand « quand » de son questionnement. Pour le « comment on y va », ce fut tout un art : financièrement j’avais intérêt à partir de Lyon le lundi après-midi en avion pour Londres Stansted, et pour Chiki il y avait intérêt à ce qu’il parte lui aussi en avion le mardi matin de Montpellier pour Londres Gatwick. Pour le retour, le vendredi : 11 h pour lui, 15 h pile pour moi — pour récupérer les enfants à l’école.
J’avais résolu aussi, à la fois, le grand « on crèche où », « on y va avec qui », « on y va faire quoi » et « JE VEUX ALLER À POUDLAR » en une seule et même réponse.
On y allait entre nous. On aurait pu louer un appart’, mais une auberge de jeunesse, c’est pas mal aussi : on trouvera plus facilement les bons plans et fera plus simplement des rencontres. Et pour Poudlar...
Il m’a fallu lui dire que Poudlar n’existait pas, que le lieu de tournage était à deux heures de Londres, mais que notre auberge s’appelait « Clink » et se trouvait à cinq minutes de la gare de St Pancras — aka la garde de King’s Cross dans Harry Potter — à quinze minutes de l’« extra centre », à dix du seul coin de Londres que je ne connais pas, et vingt de la City où je n’ai jamais mis les pieds : autant de lieux à découvrir que de choses à faire.
À l’énoncé de mon plan, Chiki m’a demandé pour la reine. J’ai dû promettre qu’on irait à Buckingham faire chier les gardes. En ce qui concerne Poudlar, il m’a répondu avec le même visage désespéré que ses enfants face à l’histoire des dodos :
« Mais tu m’avais dit qu’on ferait Knaki. »